L'homme sans qualités

Robert Musil

On signalait une dépression au-dessus de l'Atlantique ; elle se déplaçait d'est en ouest en direction d'un anticyclone situé au-dessus de la Russie, et ne manifestait encore aucune tendance à l'éviter vers le nord. Les isothermes et les isothères remplissaient leurs obligations. Le rapport de la température de l'air et de la température annuelle moyenne, celle du mois le plus froid et le mois le plus chaud, et ses variations mensuelles apériodiques, était normal. Le lever, le coucher du soleil et de la lune, les phases de la lune, de Vénus et de l'anneau de Saturne, ainsi que nombre d'autres phénomènes importants, étaient conformes aux prédictions qu'en avaient faites les annuaires astronomiques. La tension de vapeur dans l'air avait atteint son maximum, et l'humidité relative était faible. Autrement dit, si l'on ne craint pas de recourir à une formule démodée, mais parfaitement judicieuse : c'était une belle journée d'août 1913...

1. D'où, chose remarquable, rien ne s'ensuit.

L'Homme sans qualités est considéré comme un jalon incontournable du roman européen. Son auteur, Robert Musil, Autrichien né à Klagenfurt, est mort à la tâche, laissant son roman inachevé mais fort tout de même de 1 800 pages. Son ambition, semble-t-il, a été de bâtir une sorte de Comédie humaine de début du XXème siècle, avec, selon le modèle balzacien, des Scènes de la vie privée, des Scènes de la vie politique, des Scènes de la vie militaire, des Scènes de la vie viennoise, le tout agrémenté d' une histoire de la pensée de l'époque, versant philosophique de l'oeuvre plutôt ardu.

L'action - quasi inexistante - s'étend d'août 1913 à août 1914. Ulrich, l'"Homme sans qualités" ("Comme la possession de qualités présuppose qu'on éprouve une certaine joie à les savoir réelles, on entrevoit dès lors comment quelqu'un qui, fût-ce par rapport à lui-même, ne se targue d'aucun sens du réel, peut s'apparaître un jour, à l'improviste, en Homme sans qualités.") est appelé à participer à un Comité préparant le jubilé de l'Empereur d'Austro-Hongrie, ce pays hybride que Musil appelle la Cacanie (à partir des deux K de König et Kaiser). C'est avec une ironie féroce que Musil décrit la vie des hautes sphères viennoises qui hantent les salons. Ulrich, c'est Musil, qui observe ce monde de faux-semblants d'un oeil d'entomologiste.

 

Ceci concerne en gros le premier tome du livre, que j'ai lu d'un trait en Creuse. Malheureusement, la suite est plus pénible. Ulrich retrouve, après la mort de son père, sa soeur Agathe avec laquelle il a une relation incestueuse (c'est cet épisode qui intéressa fortement Marguerite Duras). Les échanges philosophiques entre Ulrich et Agathe sur la morale, l'amour, le droit, la vérité, le sens de la vie, occupent d'interminables chapitres qui m'ont en grande partie échappé par manque de connaissances en ce domaine.

      

 On a cru bon d'ajouter après la mort de l'auteur les ébauches, fragments et esquisses sur lesquels il travaillait pour la fin de son roman. On ne sait même pas dans quel ordre il avait l'intention de les utiliser et les cinquante derniers chapitres laissent le lecteur dans la confusion la plus totale.

      

 Alors, le monument annoncé ? Un chef-d'oeuvre ? Peut-être bien, mais je n'ai pas les outils nécessaires pour l'appréhender.